Mon endroit préféré à Montréal

Mon endroit préféré à Montréal

Ce texte est d’abord paru dans le Quotidien Le Devoir sous le titre « Sauvons la Médiathèque littéraire Gaëtan Dostie» Vous pouvez le consulter ici

Souvent, lorsque je m’ennuie et qu’il me prend de me poser des questions, je me demande quel est mon endroit préféré à Montréal, le lieu où je me sens le plus chez moi dans ce qui m’est propre. C’est toujours la même réponse qui me vient à l’esprit à la manière d’une évidence : la Médiathèque littéraire Gaëtan Dostie, un des secrets les mieux gardés du centre-ville de Montréal.

J’ai découvert ce lieu exceptionnel il y a de cela deux ans alors que je commençais à travailler sur un spectacle tournant autour du grand poète Hector de Saint-Denys Garneau. J’avais entendu parler de ce lieu qui abritait les plus précieux souvenirs de la poésie d’ici. M’ouvrant toute grande la porte de sa maison, M. Dostie m’a accueilli avec sa fougue et sa passion comme lui seul sait le faire. À la manière d’un guide spirituel, d’un chevalier du patrimoine et d’un missionnaire de la littérature d’ici, il m’a offert une visite guidée de sa grande et unique collection labyrinthique qui comprend un exemplaire du Refus global ayant appartenu à Claude Gauvreau, des extraits du manuscrit de Nègre blanc d’Amérique de Pierre Vallières et des documents amassés depuis cinq décennies. Nous avons parlé des heures durant de poètes et de poésie, mais aussi d’histoire, d’écriture et de littérature, et il m’a offert généreusement de venir répéter notre spectacle chez lui, quelque part entre la toute première anthologie de poésie du Québec de 1830 et les plus vieux documents de la francophonie d’Amérique…

Lieu d’intelligence

Quel mois et demi-formidable nous avons vécu là parmi les oeuvres de Paul Chamberland et de Nicole Brossard, au milieu des manuscrits des Louis Dantin, Émile Nelligan et Alfred DesRochers… Chaque jour, entourés des documents amassés par M. Dostie depuis 1957 qui ont traversé les censures et le temps, nous avions l’impression profonde, fière et sincère de participer là à quelque chose de grand, d’unique et de sacré qui nous transportait et nous dépassait, une quête de beauté et de sens qui trouvait écho en nous. Quelque part entre le spectaculaire Abécédaire de Roland Giguère qui fait dix mètres de long et une photographie de Louis Fréchette tirée d’un autre temps, entre les poèmes-affiches de Paul-Marie Lapointe et les tableaux des automatistes, nous étions bénis des dieux de pouvoir construire une oeuvre dans un tel lieu d’intelligence, de savoir et d’érudition, à une époque où tout semble être conçu pour empêcher, détruire et annihiler la mémoire collective, pour décourager les éveils et neutraliser la transmission des mots, des discours et des idées.

Mon métier premier étant d’écrire et de raconter des histoires, je peux difficilement parler du problème de logement et d’éviction que connaît actuellement la Médiathèque littéraire Gaëtan Dostie, mais je peux parler des choix que nous faisons comme peuple et comme société.

Choix de société

Ces choix, ces décisions, ces actions sont des symboles, des messages et des idées que nous nous transmettons collectivement, et ce, de génération en génération. Il faut respecter et protéger un lieu de résistance aussi fort et unique que la Médiathèque littéraire Gaëtan Dostie, car il en va de l’intégrité, de la dignité et de la fierté de notre mémoire littéraire. Il est totalement anormal, illogique, absurde et aberrant qu’un tel lieu de rassemblement et de communion ne soit soutenu par aucun organisme subventionnaire ni aucune aide gouvernementale. Cette bâtisse exceptionnelle, cette caverne d’Ali Baba de l’imaginaire d’ici, qui comprend les plus précieux recueils des éditions de l’Hexagone et de Parti pris, doit être encouragée, soutenue et défendue dès maintenant. Nous devons protéger et sauvegarder cet espace de résistance, de combat et d’engagement qui abrite et préserve les oeuvres des Miron, Ferron, Gauvreau, Godin, Langevin et Aquin, pour ne nommer que ceux-là…

Je viens pour la toute première fois de ma vie de devenir papa. J’aimerais pouvoir dire à mon fils quand il grandira que la poésie a encore sa place dans ce monde lisse, plat et parfois brutal où je l’ai fait naître. Que les poètes, les écrivains, les intellectuels et les penseurs sont respectés, encouragés, compris, admirés et défendus dans notre société et notre collectivité… J’aimerais qu’en grandissant mon fils ait accès à ces lieux où on lui expliquera ce qu’est la poésie, à quoi elle sert et ce qu’elle signifie. J’aimerais lui apprendre qu’il y a de la poésie dans cette vie et qu’elle a le droit d’exister, fière, forte et libre.

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